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Les mineur.e.s victimes-auteur.rice.s : le difficile équilibre entre répression et protection

Dernière mise à jour : 26 juin

De nombreuses affaires récentes illustrent une réalité complexe : des mineur.e.s victimes de prostitution se retrouvent également poursuivis devant les juridictions pour enfants, notamment pour des faits de proxénétisme. Ce double statut ambigu, à la fois victimes d’exploitation et auteur.rice.s présumé.e.s d’infractions, soulève des questions majeures sur la manière dont la justice pénale appréhende ces jeunes, souvent pris dans des réseaux où domination, violence et emprise psychologique se mêlent.


C’est dans ce contexte que se pose la question de la justice pénale des mineur.e.s en France.


  1. La justice pénale des mineur.e.s


La justice pénale des mineur.e.s occupe une place singulière dans le paysage juridique français, en ce qu’elle repose sur une approche profondément différente de celle applicable aux majeur.e.s. Depuis l’ordonnance fondatrice du 2 février 1945, qui posait trois piliers essentiels, l’excuse de minorité, la primauté de l'éducatif et la spécialisation des juridictions, la réponse de l’État face à la délinquance des plus jeunes s’est construite autour d’un équilibre délicat entre action éducative et répression. 


Longtemps restée relativement stable, cette législation a toutefois connu de nombreuses réformes ces dernières années, aboutissant à une refonte majeure avec l’entrée en vigueur, le 30 septembre 2021, du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Ce nouveau cadre, tout en réaffirmant les principes historiques de la protection de l’enfance, introduit des dispositifs inédits visant à renforcer l’efficacité et la lisibilité de la justice des mineur.e.s.


L’ensemble des textes encadrant la justice pénale des mineur.e.s tend à établir un statut juridique spécifique, distinct de celui applicable aux majeur.e.s, en raison de leur jeune âge et de la vulnérabilité des jeunes auteur.rice.s d’infractions. En effet, un.e mineur.e, du seul fait qu’il n’a pas atteint l’âge de 18 ans, bénéficie d’une atténuation de responsabilité pénale. En dessous de 13 ans, la loi présume même l’absence de discernement, excluant toute possibilité de peine. Le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) rappelle cette spécificité : les décisions rendues à l’encontre des mineur.e.s doivent viser en priorité leur relèvement éducatif et moral, la prévention de la récidive ainsi que la protection des victimes (art. L. 11-2). Le CJPM consacre désormais explicitement la primauté de l’éducatif dans la réponse pénale. Ainsi, un.e mineur.e déclaré coupable peut faire l’objet de mesures éducatives (avertissement ou mesure éducative judiciaire), et ce n’est qu’à titre subsidiaire, si sa personnalité et les circonstances le justifient, qu’une peine peut être prononcée (art. L. 11-3).


  1. Victimes et auteur.rice.s : une frontière poreuse


Les mineur.e.s en situation de prostitution sont juridiquement et socialement considéré.e.s comme des victimes d’exploitation sexuelle. La loi française considère tout.e mineur.e engagé.e dans la prostitution comme une victime, indépendamment de son comportement ou de son degré d’autonomie dans le système prostitutionnel.


Cette reconnaissance juridique repose sur la présomption d’absence de consentement réel chez les mineurs, en raison de leur vulnérabilité, de leur immaturité affective et de la pression sociale ou économique à laquelle ils ou elles peuvent être exposé.e.s.


Cependant, certaines affaires mettent en lumière des situations où des mineur.e.s, eux-mêmes ou elles-mêmes victimes, adoptent des rôles ambivalents. Ils ou elles peuvent, sous l’influence d’un réseau, d’un.e proche ou d’un “lover boy”, participer à la mise en relation de nouvelles victimes avec des clients et récupérer une part des gains. Ces comportements peuvent caractériser du proxénétisme, une infraction punie par la loi, mais il serait réducteur d’y voir uniquement un passage à l’acte volontaire. Souvent, ces jeunes sont encore sous emprise psychologique, manipulé.e.s ou contraint.e.s, et leur participation s’inscrit dans un parcours d’exploitation, de survie et de violences répétées.


Dans certains cas, ces mineur.e.s-auteur.rice.s ont eux-mêmes, elles-mêmes, été les premières victimes, parfois dès l’enfance. C’est notamment le cas de certaines jeunes filles devenues proxénètes, après avoir été elles-mêmes en situation de prostitution, souvent recrutées par des proches de confiance. Le recrutement s’opère généralement dans un cadre de forte précarité émotionnelle ou économique, avec des promesses illusoires de réussite, de confort matériel ou de reconnaissance. Ce glissement du statut de victime à celui d’auteur.rice ne signifie pas un basculement brutal, mais plutôt une continuité dans un parcours marqué par la contrainte, la vulnérabilité et parfois l’absence de repères structurants.


La justice des mineur.e.s doit alors adopter une approche différenciée en prenant en compte ce statut. Lorsqu’un.e mineur.e est à la fois victime et auteur.rice, par exemple, dans le cas d’une jeune fille impliquée dans le recrutement d’autres mineures tout en étant elle-même exploitée, le juge des enfants peut prononcer des mesures éducatives et d’accompagnement, plutôt que des peines répressives. L’objectif est de prendre en compte la double vulnérabilité de ces jeunes, en les protégeant tout en les responsabilisant. Il s’agit aussi d’analyser leur parcours : ont-elles agi sous contrainte ? Sont-elles encore sous l’influence d’un réseau ? Ont-elles eu réellement la capacité de discernement au moment des faits ?


Sur le plan juridique, l’article 122-2 du Code pénal permet d’invoquer l’irresponsabilité pénale en cas de contrainte irrésistible, qu’elle soit physique ou morale. Toutefois, la jurisprudence reste très rigoureuse dans son interprétation : la contrainte doit provenir d’un fait extérieur, être irrésistible et empêcher toute résistance. Ainsi, la simple peur, la soumission à une figure d’autorité ou la précarité sociale ne suffisent pas, en soi, à caractériser cette contrainte. La Cour de cassation l’a rappelé à plusieurs reprises, exigeant des preuves concrètes d’une menace ou d’une pression annihilant complètement la volonté de l’auteur.rice.


Dans un cadre international, des instruments juridiques viennent compléter cette approche. L’article 26 de la Convention de Varsovie sur la lutte contre la traite des êtres humains, et l’article 8 de la directive européenne du 5 avril 2011, insistent sur la nécessité pour les États de ne pas sanctionner les victimes contraintes à commettre des infractions. Ces dispositions offrent un fondement juridique pour ne pas poursuivre, ou atténuer la responsabilité, des mineurs impliqués dans des activités illégales en lien avec leur exploitation.


Enfin, dans la prise en charge de ces mineur.e.s-auteur.rice.s, les professionnel.le.s de la justice, du social et du soin se heurtent souvent à une autre difficulté : la reconnaissance par l’adolescent.e de sa double position. Il ou elle peut ressentir une forte injustice à être poursuivi.e pour des actes qu’il ou elle perçoit comme imposés ou subis, surtout s’il.elle n’a jamais été reconnu.e comme victime auparavant. L’accompagnement doit donc permettre de retracer son histoire, de lui reconnaître sa souffrance et, le cas échéant, son statut de victime, afin d’ouvrir un espace de parole et de réflexion. Cela ne vise pas à nier sa responsabilité, mais à créer les conditions d’un travail sur le passage à l’acte et sur les conséquences de celui-ci pour autrui.


La justice des mineur.e.s doit répondre à la complexité des parcours où les rôles de victime et d’auteur.rice se confondent. Face à des jeunes, une approche individualisée, alliant protection, responsabilisation et compréhension du contexte, est essentielle pour garantir une réponse juste et adaptée à leur réalité.



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