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UNE AFFAIRE, UN POINT JURIDIQUE | L’absence de communication entre l’autorité judiciaire et l’administration : un dysfonctionnement aux lourdes conséquences


L’affaire LE SCOUARNEC


Depuis le 24 février 2025, se tient le procès de J. LE SCOUARNEC à la Cour criminelle du Morbihan. Cet ancien chirurgien aurait profité de son statut social et de son métier pour agresser sexuellement et violer des centaines de victimes mineures, en convalescence dans son hôpital ou passées au bloc opératoire pour des interventions chirurgicales. L’ampleur de ce procès, par sa durée et le nombre conséquent de victimes, démontre la complexité de l’affaire et l’atrocité des faits.


Comment les défauts de communication ont-ils permis, durant près de trois décennies, le viol de centaines d’enfants au sein de plusieurs établissements hospitaliers ?


Si J. LE SCOUARNEC a pu commettre de tels crimes pendant près de trente ans, en tout impunité, cela est dû en partie à l’absence de communication entre l’administration hospitalière et la justice. 


Au début des années 2000, le FBI fait un signalement aux autorités françaises, à la suite d’une enquête sur les utilisateurs de sites pédopornographiques russes. Parmi eux, J. LE SCOUARNEC : sa carte bancaire est identifiée à trois reprises. Il est convoqué, début décembre 2004 à la gendarmerie de Grand-Champ, cette convocation lui laissant le temps de soigneusement dissimuler les preuves qui ne seront pas retrouvées lors de la perquisition de son domicile. Il comparaît fin 2005 devant le Tribunal correctionnel de Vannes pour consultation de sites pédopornographiques et est condamné à 4 mois de prison avec sursis, sans obligation de soins ni restrictions professionnelles. En poste à la clinique de Vannes, sa condamnation ne parviendra jamais à l’administration. 


Au printemps 2006, lorsque J. LE SCOUARNEC est recruté à l’hôpital de Quimperlé, son casier judiciaire est communiqué mais sa condamnation de l’année précédente n’y est toujours pas inscrite  (Seule la mention “néant” y est inscrite). 

Deux mois plus tard, un psychiatre de l'établissement apprend le passé judiciaire du chirurgien par l'un de ses confrères, qui avait déterminé un risque de récidive chez Le Scouarnec avant sa condamnation. Il décide alors d'alerter le directeur de l'hôpital : “J’avoue m’interroger quant à la capacité du Docteur LE SCOUARNEC à conserver toute sa sérénité lorsqu’il intervient auprès de jeunes patients”.

Le casier judiciaire est finalement actualisé et posté à l’Ordre des médecins du Finistère en novembre 2006 mais il est trop tard, J. LE SCOUARNEC est désormais titularisé au sein de l'hôpital par une décision adoptée à l’unanimité le 1er août 2006. 


Voici l’itinéraire de ce courrier : 

  • Il est envoyé au conseil national de l’Ordre des médecins ;

  • L’ordre décide de laisser les autorités sanitaires gérer l’affaire car elles ont le pouvoir de restreindre son activité ;

  • La direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) fait remonter l’alerte au Ministère de la Santé qui recommande aux autorités régionales de porter plainte auprès du Conseil de l’Ordre ;

  • La plainte ne sera jamais déposée par le Conseil de l’Ordre. J. LE SCOUARNEC ne sera finalement radié de l’Ordre des médecins qu’en 2017, sur sa propre demande et suite à la première plainte déposée contre lui la même année. 


L'enchaînement de ces évènements fait ressortir un double dysfonctionnement informationnel qui aurait permis à ce pédocriminel d'agir en toute impunité pendant des années. En effet, la sérieuse prise en compte de deux documents aurait pu changer le cours de cette affaire : la lettre d’alerte du psychiatre ainsi que le bulletin du casier judiciaire de J. LE SCOUARNEC.

 

Les dysfonctionnements sont les suivants: 

  • D’une part, le retard dans la mise à jour du casier judiciaire J. LE SCOUARNEC, lié à l’engorgement symptomatique des tribunaux. ;

  • D’autre part, la sérieuse carence des administrations (hospitalières et publiques) à prendre en considération le courrier d’alerte du psychiatre.


En 2008, le service chirurgical de l'hôpital de Quimperlé ferme ses portes. J. LE SCOUARNEC est alors sur le point d’être recruté dans un nouvel établissement hospitalier à Pontivy. Juste avant sa prise de poste, le directeur dudit établissement est contacté officieusement par l’ARS qui lui recommande de ne pas l’intégrer. Il est par la suite engagé à l'hôpital de Jonzac dont la directrice, mise au courant de la condamnation, décide malgré tout de l’embaucher.

Face à l’horreur, les questions se bousculent: pourquoi et comment ?


Au vu de ces éléments, de nombreuses interrogations ont pu être soulevées. En premier lieu, dans quelle mesure existe-t-il une obligation de consulter et de prendre en considération le casier judiciaire des professionnels de santé ? Par ailleurs, si la chambre disciplinaire de première instance est chargée de se prononcer sur la capacité d’un médecin à continuer d’exercer, pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Comment l’Ordre des médecins a-t-il pu être aussi défaillant sur le traitement de cette affaire ? 

Mais dans cette affaire une question principale demeure : malgré la connaissance des agissements de J. LE SCOUARNEC par de nombreuses personnes et autorités, comment est-il passé entre les mailles du filet alors qu’il avait été condamné une première fois pour visionnage de contenus pédocriminels ?


Les justifications qui sont soulevées par les différentes personnes ayant pu croiser la carrière du chirurgien soulignent une forte crise au sein du milieu hospitalier conjuguée au fait que J. LE SCOUARNEC aurait pu être perçu comme le sauveur du service chirurgical. Son statut de chirurgien respecté aurait empêché ses collègues de se questionner sur ses agissements.


Ce sont des problématiques qui ont pu être soulevées dans de nombreuses affaires similaires. Par conséquent, une loi a été introduite en 2016 pour pallier les manquements des institutions de contrôle et empêcher les administrations de se dédouaner.


Loi du 14 avril 2016 relative à l'information de l'administration par l'institution judiciaire et à la protection des mineurs


La loi du 14 avril 2016 a été adoptée en réponse à des dysfonctionnements révélés par des affaires d’agressions sexuelles sur mineurs dans le milieu scolaire et hospitalier (affaires FARINA et LE SCOUARNEC). Dans ces deux affaires, l’absence de communication entre la justice et l’éducation nationale ou la justice et l’administration hospitalière, a été fatale pour les innombrables victimes qui ont subi des violences sexuelles malgré une première condamnation de l’auteur pour des faits similaires.


Cette loi a mis en place, d’une part, une obligation d’informer le recruteur de son casier judiciaire pour les personnes qui exercent « une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs”. D’autre part, une faculté d’informer le recruteur de son casier judiciaire pour les personnes employées - agents publics - ou bénévoles de l’administration. Elle prévoit notamment que dès lors qu’une personne travaillant au contact d’enfants est condamnée, même à une peine avec sursis, pour une infraction impliquant des mineurs, l’administration de laquelle il ressort en est informée. D’après ce texte, sont visées toutes les personnes qui enseignent, accueillent, surveillent, éduquent ou encadrent des mineurs. Cela concerne ainsi tous les établissements d’enseignement, à caractère social (colonies, crèches, centres aérés, etc), médicaux et judiciaires.


La loi de 2016 précise que sont concernés non seulement les agents publics (fonctionnaires et agents contractuels) dont l’activité est directement contrôlée par l’administration, mais aussi ceux qui travaillent dans un organisme de droit privé dont l’activité est contrôlée indirectement par l’administration.


S’agissant du moment de la transmission de l’information, il faut une condamnation mais pas forcément définitive. Dès la première instance, elle pourra être transmise. Elle pourra aussi l’être en amont, c’est à dire avant la condamnation, sous deux conditions : 

  • En cas de saisine d’une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d’instruction,

  • Lorsque la personne est mise en examen.


Qu’en est-il aujourd’hui ?


Afin de protéger les mineurs, public particulièrement vulnérable, la loi Billon a été introduite en 2021 pour réglementer et prévenir la récidive chez les personnes condamnées pour des infractions sur mineurs

Elle prévoit notamment une peine complémentaire désormais obligatoirement prononcée, sauf décision spécialement motivée par le tribunal, lorsque l’infraction visée concerne des mineurs. Il s’agit de l'interdiction d'exercer, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs (articles 222-48-4 et 227-31-1 du code pénal). Bien que cette peine complémentaire soit une avancée considérable dans la protection des mineurs, il semblerait que les médecins ne soient pas compris dans les catégories professionnelles visées par la notion de “contact habituel avec des mineurs”. 


Si la loi et les mœurs ont évolué ces dernières années, il reste encore de nombreuses problématiques notamment relatives au Conseil National de l’Ordre des Médecins et des professionnels de santé dont la confiance est l’élément central dans la prise en charge d’un public vulnérable.

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